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Trois essais féministes qui politisent la fatigue
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Trois essais féministes qui politisent la fatigue

Où je vous donne quelques nouvelles, un jour de grand vent, sur mon vélo et partage avec vous quelques extraits de trois essais féministes parus récemment.

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Lauren Bastide
juin 08, 2025
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Je roulais vers la Maison de la Radio, sur un vélo. Il y avait du vent, il pleuvait un peu. Je suis passée devant la Tour Eiffel et j’ai dit, d’un air blasé : ouais bon, j’avoue, c’est beau.
Je me sentais un peu à côté de mes pompes. Toute la semaine, je me suis sentie un peu à côté de mes pompes. Je ne sais pas si c’est le syndrome prémenstruel, les allergies aux graminées, les souvenirs traumatiques du mois de juin, la périménopause, le TDAH. Probablement tout ça à la fois. Mon hypothèse, c’est que les fluctuations hormonales dysrégulent encore un peu plus tout ce qui est déjà dysrégulé. Mon baromètre émotionnel, en ce moment, c’est le Grand Splash du Parc Astérix.
Je me dissocie plusieurs fois par jour. J’arrive chez moi sans aucun souvenir du trajet – c’était en métro ou à pied ?
Je me mets à trier mon tiroir à médicaments à 5h45 du matin – car le sommeil aussi est dysrégulé.
Juste avant ce départ pour la Maison de la Radio, j’ai passé une demi-heure à traquer dans tout l’appartement un t-shirt que j’avais prévu de porter pour l’occasion. Impossible de remettre la main dessus. J’ai fini par le localiser au moment où j’allais baisser les bras : il était dans un saladier. Dans le placard de la cuisine. Je n’ai aucune explication à donner. Ça m’a mise en retard et dans un état étrange.

Mais faut bien avouer que oui, c’est joli la Tour Eiffel.

En passant sous le pont d’Iéna, j’aperçois au loin une altercation entre deux cyclistes. L’un jette son vélo sur le côté et envoie un coup de poing au second. Je vois quatre ou cinq usagers de la piste cyclable les contourner pour tracer leur route, un ou deux autres s’arrêter, ahuris.
J’ai pas réfléchi deux secondes. Je me suis plantée entre les deux et j’ai fait un geste et un son très similaires à ceux que je produis quand mes gosses se disputent :
WOH WOH WOH, ON VA SE CALMER TOUT DE SUITE, LÀ.

Les deux mecs se sont tournés vers moi. Le plus violent a désarmé son bras en voyant, je suppose, que j’étais une meuf.
Le deuxième pissait le sang par la narine.
J’ai regardé le violent et j’ai dit : rien ne justifie la violence.
— Il a traité ma mère !
— Il m’a coupé la route, le fils de pute ! lance l’autre, derrière son geyser écarlate.

Je le regarde et lui dis :
- Mais vous êtes bête ou quoi ? Arrêtez de l’insulter.
Puis : Dis donc monsieur, vous saignez beaucoup là. Vous avez l’air en état de choc. Vous voulez vous asseoir ?
Il a les yeux qui pleurent. Je lui demande s’il faut appeler une ambulance.
Un homme se mêle de la scène, dit qu’il a tout vu, qu’il va appeler les flics. Le violent commence à capter que le vent tourne. Il s’échappe comme un lâche, sans demander son reste.

Le deuxième s’apprête à remonter sur son vélo :
— Nan tout va bien, je saigne facilement.
— Mais monsieur. Vous avez vécu quelque chose de traumatisant là. Vous avez été frappé. Vous devez vous asseoir, prendre une pause, boire de l’eau, respirer.

Je l’assois sur le bord du trottoir. Je lui frotte le dos.
— Ça va aller ?
— Oui.
Il renifle et décide finalement de rester là, à fixer le bitume. Il n’est plus seul et je suis vraiment en retard maintenant. Je remonte sur mon vélo et je pars en me disant qu’il y aurait là matière à tellement d’analyses de genre, dans tous les sens.
Je me demande si j’aurais pu stopper la bagarre de la même façon si j’avais été un homme.
Je me demande pourquoi les hommes estiment qu’insulter leur mère, c’est une bonne raison de laisser sortir leur rage enfouie.
Je me demande si mon intervention, c’était du courage ou du care.
Si c’était impulsif ou nécessaire.
Si je vais le raconter dans ma newsletter, et si oui, pourquoi faire ?

Peut-être pour dire que : toujours féministe. Évidemment. Toujours et à jamais. Je n’abandonnerai jamais ces lunettes de genre qui me permettent de lire le monde avec plus de précision et de complexité — in a good way — qu’aucune autre lecture.

Pour dire aussi, du coup, que je continue de me régaler des idées féministes.
Et que ces derniers temps, j’ai lu trois essais où j’ai pu constater la force avec laquelle la pensée féministe, qui a pour particularité de transformer les lignes droites en spirales, permet de tordre le monde, de l’assouplir, et de le rendre, par conséquent, un peu plus respirable. Quand j’y réfléchis, ces textes ont tous à voir avec la fatigue. Cette fatigue avec laquelle j’apprends à cohabiter et qui est la raison pour laquelle cette lettre arrive un peu plus tard que prévu. Cette fatigue qui, quand on la regarde d’un point de vue féministe, est politique.

(Quant au mien, de livre, il avance. Bientôt les épreuves seront prêtes.
Il est déjà disponible à la précommande.)

Allez, bonnes lectures, prenez soin de vous et prenez votre temps.
Lauren

PS : je vous rappelle que vous pouvez acheter les livres que je vous recommande sur le site Les Libraires en cliquant directement sur les titres, cela soutient à la fois mon travail et les libraires indépendantes ce qui est cool.

PS 2 : petit point agenda ! Marseille ! Je viens samedi prochain au festival La Claque pour enregistrer un épisode de Folie Douce en direct avec Zita Hanrot, ça va être incroyable. Venez.


Trois essais féministes qui m’ont défatigué le cerveau

1. Woolf, de Adèle Cassigneul, éditions Pérégrines

Woolf avec mon tilleul, l’un des être vivants que j’aime le plus au monde.

💌 Je n’aurais laissé personne d’autre qu’Adèle Cassigneul, docteure en littérature anglaise et probablement la plus grande experte de Woolf en France, s’attaquer ainsi au monument. Et pourtant, il le fallait.

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