Peut-on vraiment comprendre les autres ? avec Samah Karaki
Où je partage un épisode de Folie Douce qui parle d'écoute, de solitude et de liens, c'est-à-dire de tout ce qui me passionne, et mon sentiment que le printemps (politique) revient 🌸
Pas le temps de lire ? Allons droit au but :
Bonjour les Douceurs,
Je viens de mettre en ligne un nouvel épisode de Folie Douce avec Samah Karaki, neuroscientifique franco-libanaise d’absolu génie. Dans son dernier ouvrage, elle explore l’empathie en entrecroisant la biologie du cerveau et la sociologie, avec un point de vue féministe nourri de la pensée de Judith Butler et de toutes les idées qui alimentent ma propre réflexion depuis des années.
Samah est brillante, touchante, bouleversante.
On s’est parlé il y a deux mois. Je me souviens qu’elle était fatiguée. On était au creux de l’hiver. D’ailleurs, vous l’entendrez au début de l’épisode : il y a comme un découragement, quelque chose de sombre dans sa voix.
À l’époque, le Liban subissait des bombardements, et nous étions au paroxysme du conflit israélo-palestinien. Tout paraissait figé dans une noirceur oppressante.

C’est intéressant de mettre cet épisode en ligne maintenant, parce qu’aujourd’hui, j’ai vraiment eu la sensation que c’était le début du printemps.
Je rentre à peine de la forêt. J’y étais avec Robin. Le ciel était bleu, les jeunes branches des arbres tendues vers la lumière, les bourgeons au bord de l’éclosion, les mésanges étaient en folie – j’ai même vu un pivert. Dans mon jardin, déjà parsemé de perce-neige, pointent les primevères, les jonquilles, .
Et puis je ne sais pas vous, mais j’ai la sensation que collectivement, nous sommes en train de sortir d’un long engourdissement.
J’ai vu ces derniers jours des lueurs sur les réseaux sociaux, des éclats de combativité qui m’ont réveillée. La colère de la sénatrice trans Carla Antonelli en Espagne, dont le discours était une gifle de justesse et de hargne. Jane Fonda, l’inégalable Jane Fonda, qui, lors d’une remise de prix à Hollywood, a rappelé le devoir de résistance du cinéma. (Putain, qu’est-ce que j’attendais cette déclaration ! Dans un coin de ma tête, ces dernières semaines, je me disais : si Jane Fonda ne parle pas, c’est que tout est foutu. Et elle a parlé.)
Et moi aussi, j’ai l’impression de me réveiller.
Depuis quelques jours, je ressens à nouveau l’urgence d’agir. Quelque chose a repris vie dans mes jambes et dans mes pieds. J’ai recommencé à dire oui : aux invitations, aux rencontres, aux débats. Dans les mois à venir, je viendrai parler dans des écoles, des universités, des colloques. Je serai à Strasbourg, Bordeaux, Marseille pour vous rencontrer, pour échanger, pour continuer à faire vivre nos idées. Je vous confirme tout ça bientôt.
Non, le wokisme n’est pas mort. On était juste fatigué·es. Mais nous revoilà.
Plus fort·es. Plus déterminé·es que jamais à faire germer ce qui a été semé.
Prenez soin de vous et prenez votre temps, c’est le printemps ! 🌸
Lauren
PS : Allez bien scroller tout en bas, je vous recommande un spectacle et il y a un aussi une riche revue de presse consacrée à la santé mentale ! Et si vous voulez passer en payant pour lire des textes inédits, accéder aux commentaires et soutenir financièrement mon indépendance d’autrice, je vous invite à cliquer ci-dessous. Bien le merci.
Samah Karaki / Photo de Marie Rouge
Description de l’épisode :
Docteure en neurosciences, Samah Karaki est aussi l’autrice d’un livre qui a beaucoup fait parler ces derniers mois, L’empathie est politique, un bijou de pensée critique. Elle y entremêle sciences dures et sciences humaines, et y décrit les mécanismes à l’œuvre lorsque l’on parle d’empathie, comme par exemple le favoritisme endogame - le fait d’être plus touché·e par ce que vivent celleux qui nous ressemblent.
Au micro de Lauren Bastide, elle revient sur son enfance, en partie au Liban, à Beyrouth. Elle ne rêvait pas de faire de la biologie avant de se retrouver lors d’un stage pendant ses études à étudier la mémoire des oiseaux - elle est depuis devenue docteure et a fondé le Social Brain Institue, institution visant à vulgariser ce sujet. Elle évoque aussi la situation des femmes palestiniennes, et l’empathie à double standard qui touche les enfants. Finalement elle arrive à la conclusion glaçante que nous sommes fondamentalement seul·es. Mais cette solitude ne serait-elle pas la clé de l’ouverture aux autres ?
Bonne écoute, et n’hésitez pas à mettre des étoiles et à me faire tous vos retours sur les réseaux sociaux !
Quelques mots sur notre partenaire
Cette semaine, je voulais vous parler du dernier spectacle de Lena Paugam, Ovni rêveur / Le Corps éparpillé dans la tête, programmé par notre partenaire, La Villette.
La menteuse en scène orchestre la rencontre entre le danseur Félicien Fonsino et la poétesse autiste non verbale Babouillec.
Peut-être connaissez-vous cette autrice, que beaucoup ont découvert grâce au documentaire Dernières nouvelles du cosmos de Juli Bertuccelli. Elle déploie au fil de textes – poème, roman, essai – sa vision spirituelle.
La pièce de Lena Paugam questionne le temps que chacun prend pour écouter, regarder, sentir, se rencontrer. Comment Babouillec raconte-t-elle l’écart qui nous sépare d’elle ? Comment exprimer au présent ce qui traverse son écriture ? Ces deux-là incarnent la promesse de Lena Paugam de faire de la scène « une chambre d’échos qui donne à entendre les bruits étouffés du monde ».
Ça se passe du 12 au 15 mars à la Grande Halle de La Villette, à Paris. Si vous voulez prendre des places, c’est par ici.
Photo de Lena Paugam
La revue de presse de Folie Douce :
À venir, Jeudi 6 mars 2025 à 19h : cette rencontre au Carreau du Temple sur le cycle du vivant, où Camille Crosnier (France Culture - La Terre au carré) recevra la philosophe et psychologue Vinciane Despret, passionnée d’éthologie (l’étude du comportement animal), pour réfléchir à la façon de lutter contre une forme de patrimonialisation de la nature. Un échange qui sera passionnant, invitant à interroger notre rapport à ce qui nous entoure pour nous permettre de changer notre regard.
Cette série d’épisodes de l’émission France Culture « Avec philosophie » pour mieux comprendre les enjeux de L’anti-Oedipe écrit par Deleuze, philosophe et Guattari, psychanalyste en 1972, qui reste sans aucun doute toujours actuel puisqu’il s’agit de remettre le sujet au centre de son désir.
Dans cet épisode du podcast « Par Effractions », Juliet Drouar, à l’occasion de la sortie de son premier roman Cui-Cui qui aborde la question du droit de vote pour les enfants et la construction du genre dans nos sociétés, se balade dans les rayons de la bibliothèque du Centre Pompidou pour parler des livres qui ont façonné son regard sur le monde.
Cet article de Natura Sciences sur le rôle crucial que joue la flore intestinale dans nos capacités cognitives, notamment sur la mémoire et la concentration, voire qui influence nos prises de décisions, et renvoie vers les liens de plein d’études passionnantes pour creuser le sujet.
Cet article de Libération (réservé aux abonné·es) qui met en avant une étude révélant une augmentation des tentatives de suicide notamment chez les hommes âgés de plus de 85 ans et chez les jeunes femmes de moins de 25 ans : elles sont 46% de plus qu’en 2021. Les 20% des plus modestes ont 3 fois plus de risques d’être touchées que les 20% les plus aisées.
Cet article du Monde (réservé aux abonné·es) qui nous emmène au coeur de l’hôpital psychiatrique de Kharkiv en Ukraine, un endroit paradoxalement très calme car en partie coupé du reste du monde. Les patient·es n’ont pas vu leur troubles augmenter de façon significative depuis la guerre : « Freud l’a documenté après le premier conflit mondial : les symptômes psychiatriques lourds n’augmentent pas pendant les conflits, comme si sentiment d’urgence et instinct de survie prenaient le pas sur les tourments. Les fameux stress post-traumatiques éclosent après la fin des conflits »
Si vous voulez être au courant de toutes les actualités de Folie Douce, et voir des vidéos des coulisses des épisodes :
Folie Douce donne la parole à des artistes, des militant·es, penseur·euses pour explorer leur parcours de santé mentale à la lumière de leur travail artistique ou politique. Ce podcast a pour vocation de faire émerger des récits à la première personne. Les propos de ses invité·es n’ont pas valeur d’expertise. Le terme « folie » est employé ici à des fins de renversement du stigmate et de réappropriation d’une identité habituellement imposée et marginalisée.
Si vous traversez un moment particulièrement difficile, vous pouvez appeler le 3114, des personnes formées vous écouteront et vous orienteront.
Merci pour cette petite dose d'espoir, le projet d'autoroute A69 vient d'être annulé aujourd'hui même, et il y a une semaine la loi PFAS et la taxe Zucman pour les milliardaires passaient à l'Assemblée nationale, après des mobilisations énormes d'activistes et de la société civile. Comme tu le dis souvent en ce moment je sens que peut-être, oui, "c'est nous le backlash". Sortons toustes de la sidération dans laquelle veulent nous plonger les fachos et rdv en manif le 8 mars. ❤️ Merci merci pour ton travail.
J’ouvre les podcasts et vos newsletters comme des petits bonbons et je me régale à chaque fois !!!
Merci cette interview est wow ! rdv le 8 mars hihihi