Le retour de Carol Gilligan, psychologue du "care" et pourfendeuse de patriarcat
Où je balance sur vos applications podcasts un entretien avec l'une des plus grandes penseuses contemporaines, Carol Gilligan, 88 ans, cadeau de Noël à notre commu de la douceur(et à moi-même).
Pas le temps de lire ? Allons droit au but :
Bonjour les Douceurs,
Alors ça digère ?
Je ne parle pas du chapon d’hier midi, mais de la nomination de Darmanin au ministère de la Justice qui serait une très bonne blague si c’en était une.
Je suis fatiguée de tout ça et je pense que c’est l’objectif : nous épuiser, et faire que, après avoir renoncé à manifester et à voter, les citoyen·nes finissent par renoncer à s’informer et à avoir un avis. Deux liens avant de passer à l’épisode : cette vidéo de Rhinocéros qui parle de fatigue informationnelle et l’appel aux dons du Secours Populaire pour Mayotte - qui a besoin d’argent et de respect, pas de Manuel Valls.
(+ N’oubliez pas d’aller scroller en bas de cette lettre pour lire notre revue de presse parce qu’il faut s’informer les amiX c’est hyper important.)
Si les gens avaient écouté Carol Gilligan il y a quarante ans, on n’en serait pas là.
Transition habile vers l’épisode de Folie Douce de la semaine qui est mon cadeau de Noël un peu en retard.
C’est simple : Carol Gilligan est au cœur de tout ce que je pense, crée et écris depuis des années. Cette psychologue féministe américaine m’a inspiré une grande partie de ce que je raconte dans Futur·es, comment le féminisme peut sauver le monde (que je lui offre avec émotion au début de l’épisode). Elle est à l’origine de la création de Folie Douce et même de cette newsletter. C’est un peu ma Taylor Swift à moi.

Je vais, en deux mots, vous raconter ce qu’elle a écrit et pensé, pour que ça vous donne envie de l’écouter (vous avez le choix entre écouter l’interview originale en anglais ou dans une version doublée en français par mes soins - les deux sont au bout du lien👇).
En 1982, Carol Gilligan, alors jeune professeure à Harvard, publie Une voix différente. Un séisme. Ce livre fonde ce qu’on appelle aujourd’hui l’éthique du care.
Elle s’y interroge sur la valorisation, dans la recherche en psychologie, d’un type de morale basée sur une vision binaire du bien et du mal, calquée sur une description patriarcale du monde.
Elle suggère la valorisation d’une vision plus interconnectée : une éthique de soin, de sollicitude, d’écoute, d’attention à l’autre, basée, donc, sur le care.
Cette idée a infusé dans la société jusqu’à devenir une proposition politique, sous l’impulsion notamment de la politologue Joan Tronto aux Etats-Unis, ou de Sandra Laugier en France.
Mais Gilligan a fait polémique. En lisant un peu vite, ou un peu mal, son premier livre, on pourrait croire qu’elle dit que les femmes sont plus enclines à la sollicitude et à l’attention que les hommes. Certaines y ont vu un essentialisme incompatible avec la déconstruction de la binarité de genre. Gilligan a été durement critiquée à l’époque par certaines féministes, notamment par Susan Faludi dans Backlash, livre de 1986 que je cite à tout bout de champ et qui contient pourtant un pamphlet virulent contre les idées de Gilligan.
Mais ça n’est pas ce que dit Carol Gilligan. Bien au contraire.
Et aujourd’hui, à 88 ans, plus de quarante ans après Une Voix Différente, elle fait paraître Une voix humaine : l'éthique du care revisitée, qui est une clarification et un approfondissement de sa réflexion et vient tout juste d’être traduit en français aux éditions Climats. C’est à cette occasion qu’elle est venue en France en mai dernier et que j’ai donc pu faire un énorme hug à mon idole.
Une voix humaine est un essai de psychologie à mon sens aussi révolutionnaire que le précédent. Enrichi de plusieurs décennies de séances auprès d’adolescentes, de couples, de communautés, il apporte un éclairage limpide à la question de la morale d’un point de vue féministe.
La voix que le patriarcat fait taire n’est pas la voix féminine, c’est tout simplement la voix humaine.
Et cette silenciation touche aussi bien les femmes que les hommes, mais je vous laisse l’écouter dans Folie Douce, elle explique ça bien mieux que moi. Elle était si gentille, si cool, si généreuse.
Je compte sur vous pour écouter, commenter, partager cet épisode. Ça a été un gros travail pour moi et pour ma petite équipe de traduire et doubler la rencontre (merci Marie, merci Marion, merci Lou).
Ah et aussi autre truc où on s’est donné du mal : comme on n’avait pas encore commencé à filmer les enregistrements de Folie Douce en mai, je n’avais pas de vidéo de l’épisode. Alors j’ai demandé à une illustratrice talentueuse, Victoria Leroy, de faire des animations à partir d’extraits du podcast. Le résultat est magnifique, vous verrez sur l’instagram de Folie Douce.
Il se trouve que Victoria est aussi l’une des fondatrices d’un lieu important : La Maison Perchée, espace autogéré où les personnes atteintes de troubles psychiques peuvent se retrouver, prendre des cafés, s’informer et créer ensemble. La Maison Perchée est en train de faire un crowdfunding et je vous invite très fort à y contribuer.
Je voulais faire court, mais voilà : c’est long. TDAH tu connais (merciiii encore pour tous vos retours sur ma dernière lettre. J’ai un peu pleuré en lisant certains de vos commentaires). Si vous voulez rejoindre la communauté des abonné·es premium, et soutenir mon travail, c’est ici :
Je reviens dans une petite semaine vous poster la liste des bouquins que j’ai le plus aimés en 2024 et après je prendrai un break de 15 jours parce que PARTIELS en vue.
Prenez soin de vous et prenez votre temps,
Lauren
Description de l’épisode :
À 88 ans, Carol Gilligan est l’une des plus grandes penseuses contemporaines, et accessoirement la théoricienne du care. Faisant se rencontrer féminisme et santé mentale, elle incarne toutes les valeurs que défend ce podcast. La recevoir dans Folie Douce, c’est notre cadeau de fin d’année pour vous remercier de votre écoute depuis maintenant 22 (!) épisodes.
Vous trouverez cet entretien sous deux formes : l’une complètement en anglais, l’autre doublée et expliquée en français par Lauren si vous préférez (les deux se trouvent séparément dans le flux du podcast, suivez les drapeaux !)
Carol Gilligan est l’autrice d’un ouvrage majeur paru en 1982, Une voix différente, dans lequel elle développe la notion de care, qui se rapproche du soin - et est principalement pris en charge par les femmes - et critique les travaux des psychologues de l’époque qui catégorisaient les enfants par leur genre. Une voix humaine, publié cette année, se présente comme une réponse au premier : cette voix différente est-elle vraiment genrée ? Elle y déploie entre autres la question de la voix, l’inner-voice en nous que l’on tait souvent, et celle que l’on utilise librement.
Au micro de Lauren Bastide, elle se penche sur la notion d’écoute active, qu’elle a mise en place dans les nombreux entretiens qu’elle a menés avec des jeunes filles dans le cadre de ses travaux. Carol Gilligan parle également de sa mère, et de la jeune génération d’activistes. Elle explore ce « marché » que les femmes sont encouragées à faire avec la patriarcat, pour obtenir la reconnaissance en échange de la silenciation de leur voix authentique. Elle met en avant, à la fin de l’entretien, l’importance de l’écoute, la plus grande marque de respect, qui peut changer notre vision du monde.
Bonne écoute, et n’hésitez pas à mettre des étoiles et à me faire tous vos retours sur les réseaux sociaux !
La revue de presse de Folie Douce :
Cet article de LCP Assemblée Nationale, qui présente le rapport commandé par Sandrine Rousseau et Nicole Dubré-Chirat sur la prise en charge des urgences psychiatriques en vue d’une proposition de loi. Les membres de la commission des affaires sociales ont unanimement approuvé la démarche de ces deux députées, qui espèrent que la santé mentale restera la grande cause nationale.
L’audition de l’acteur et réalisateur Francis Renaud pour la commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs de la culture. Il y fait état d’un cinéma gangréné par les violences sexuelles. Auteur de La rage au coeur en 2017, il témoigne de son parcours professionnel et ouvre la voie d’un metoo garçons pour libérer la parole, malgré les intimidations.
Entre elles, le nouveau podcast de Nadia Daam pour le magazine Elle qui cherche à comprendre le lien qui unit les mères et les filles. Dans cet épisode, Clara et Sofia retracent leur parcours et parlent de leur rapport à la dépression et au cyberharcèlement. Un podcast qui aborde avec délicatesse la transmission, l’héritage transgénérationnel et l’amour filial.
Suite à son départ de Binge Audio, Victoire Tuaillon me rejoint sur Substack et lance Renverser la table, une newsletter pour faire circuler les voix et les idées émancipatrices, et explorer librement tout ce qui la bouleverse : la violence, les révoltes, l’intime et le politique. Hâte de la lire et de suivre ses prochains projets !
Le podcast de Christelle Tissot, Musae Stories. Dans le dernier épisode « La santé mentale un enjeu de société » elle reçoit Aude Caria, psychologue et chercheuse, directrice de Psycom, un organisme d’information sur la santé mentale. Un échange passionnant autour notamment de la peur et la stigmatisation des troubles psychologiques, lorsque l’on est soi même professionnel·le en santé mentale. Et où mon travail a l’honneur d’être mentionné !
Le podcast Passion discrète de Bintily Diallo pour Le Mouv’ qui s’intéresse aux autres passions moins connues des artistes. Ici, la rappeuse et autrice Eesah Yasuke, pour qui la peinture a été un moyen de débloquer son processus créatif dans l’écriture de son deuxième album alors qu’elle était en panne d’inspiration.
Si vous voulez être au courant de toutes les actualités de Folie Douce, et voir des vidéos des coulisses des épisodes :
Folie Douce donne la parole à des artistes, des militant·es, penseur·euses pour explorer leur parcours de santé mentale à la lumière de leur travail artistique ou politique. Ce podcast a pour vocation de faire émerger des récits à la première personne. Les propos de ses invité·es n’ont pas valeur d’expertise. Le terme « folie » est employé ici à des fins de renversement du stigmate et de réappropriation d’une identité habituellement imposée et marginalisée.
Si vous traversez un moment particulièrement difficile, vous pouvez appeler le 3114, des personnes formées vous écouteront et vous orienteront.
Merci, beaucoup de bien-être ressenti à écouter ce podcast.