Charlotte Le Bon, entre ombres et lumière dans Folie Douce
Où Charlotte Le Bon, qui incarne Niki de Saint Phalle au cinéma, raconte son parcours de femme et d'artiste, et m'inspire des réflexions sur l'automne, la souffrance et la création.
Pas le temps de lire ? Allons droit au but :
Bonjour les Douceurs,
Ces derniers matins, quand j’ouvre mes volets, une bourrasque, ou une légère bruine, me caresse l’épiderme. Je hume les parfums de fermentation, de feu de bois, de bitume mouillé, et je soupire d’aise. C’est l’automne. Ma saison préférée. Je me donne des frissons ésotériques en mettant ça sur le compte de mon signe astrologique (guess lequel), mais je crois que c’est surtout l’aspect philosophique de l’automne qui me plaît. Les feuilles dites « mortes » qui tombent au pied des arbres et se décomposent lentement pour former l’humus d’où germeront les pousses vertes au printemps prochain.
Évidemment que toute mort porte en elle le germe d’une renaissance. Toute crise, tout délitement, la possibilité d’un dépassement.
Récemment dans un podcast de psychologie américain, j’ai entendu parler de la théorie de la désintégration positive du psychologue polonais Kazimierz Dabrowski, qui suggère que le développement de la personnalité implique, en particulier pour certaines personnes « intenses », le passage par des crises douloureuses que la psychiatrie moderne aurait tendance à pathologiser. Mais je ferais mieux de me concentrer sur mes cours de psychologie cognitive de deuxième année de Psycho à la fac plutôt que de creuser des concepts aussi complexes.
Quoi qu’il en soit, qu’il s’agisse de trajectoires individuelles, de relations interpersonnelles, ou même d’événements politiques, les grandes crises peuvent donner lieu aux grands renouveaux.
C’est dans ces moments qu’on s’adapte, qu’on devient créatifs·ves et qu’on se réinvente.
Ce mouvement de balancier entre le sombre et le lumineux est au cœur de ma conversation avec la comédienne, artiste et réalisatrice Charlotte Le Bon, qui est mon invitée dans Folie Douce cette semaine (et que vous pouvez filer écouter en cliquant tout en bas ou tout en haut de cette newsletter).
Charlotte Le Bon incarne Niki de Saint Phalle au cinéma, dans le film Niki, premier long-métrage de Céline Sallette, qui sera sur les écrans mercredi prochain, le 9 octobre.
J’ai su que j’avais envie de la recevoir dans Folie Douce à la seconde où j’ai vu ce film, qui est une splendeur. J’y ai trouvé incarné, aussi bien par la réalisation de Céline Sallette (que j’ai reçue il y a quelques années dans La Poudre), que par le jeu de Charlotte, un véritable female gaze.
Tout au long du film, on est avec elle, dans son regard, vraiment. Y compris dans les couloirs de l’hôpital psychiatrique où elle est internée pendant plusieurs mois suite à des crises psychotiques. Scène glaçante où la décision est prise conjointement par le psychiatre et le mari, sans qu’elle soit dans la pièce - complot patriarcal, en écho aux efforts du médecin pour lui faire douter de l’inceste infligé par son père dans l’enfance.
Dans cet hôpital naîtra sa vocation d’artiste.
J’ai apprécié le choix de retracer seulement les premières années de la carrière de Niki de Saint Phalle, artiste flamboyante, iconique, dont on connaît le travail tardif mais moins les tâtonnements du début. Cette descendante d’aristocrates, petite fille bien élevée de la grande bourgeoisie new-yorkaise, a choisi de laisser mari et enfants pour se consacrer à son art, mais surtout s’emparer du trauma. C’est de ce drame originel que découle la colère. C’est dans cette colère qu’elle puise son geste artistique.
On s’est demandé, avec Charlotte, si on pouvait dire que la souffrance est à la source de toute création. Mon invitée a été catégorique : non, évidemment non. Il serait insupportable de dire qu’on ne peut pas devenir artiste sans douleur originelle, ça serait romanticiser la maladie mentale et épouser le cliché dangereux de la folie créatrice. Mais oui, évidemment oui, la souffrance peut nourrir la création.
La mort, le deuil, le sentiment d’étrangeté : tout cela, Charlotte l’a connu aussi avec la perte de son père, « figure tragique » de son enfance, qui décide de quitter ce monde alors qu’elle a 10 ans. De cette époque, elle traîne une drôle de mélancolie qui hante ses œuvres d’art, huiles et lithographies, mais aussi son premier film en tant que réalisatrice, Falcon Lake, sorti en 2022. Des œuvres contemplatives, pleines de clair-obscurs, où trainent des monstres et des fantômes.
Et pourtant, elle rayonne. Elle blague. Elle n’y peut rien. D’ailleurs personne ne pouvait mieux qu’elle incarner le personnage de Joie dans Vice-Versa, au cinéma.
Tout au long de notre entretien, c’est cette quête d’équilibre qu’elle nous raconte. Une quête fructueuse, je crois. J’avais face à moi une fille droite. Bien campée sur ses deux pieds. Si droite qu’elle n’a pas hésité à me retourner mes questions et à me faire un peu vaciller. Je n’ai eu d’autre choix que de m’ouvrir à elle, pour qu’elle s’ouvre en retour. Et je suis émue de la confiance qu’elle m’a accordée en me racontant certaines pages de sa vie qu’elle n’avait jamais révélées jusqu’ici.
Je vous souhaite une bonne écoute et je vous remercie d’être abonné·e à cette newsletter. La semaine prochaine, le 10 octobre, c’est la journée mondiale de la santé mentale. Je prépare un texte qui sera réservé aux abonnements payants. Il n’est pas trop tard pour choisir cette option :)
Allez, prenez soin de vous et prenez votre temps.
Lauren
Charlotte Le Bon / Matthieu Delbreuve
Description de l’épisode :
Dans le film Niki qui sort au cinéma le 9 octobre, Charlotte Le Bon incarne Niki de Saint Phalle, qui s’est battue contre le patriarcat et l’enfermement psychiatrique pour pouvoir créer une œuvre qui a marqué l’histoire et fait d’elle une artiste unique.
Pour Folie Douce, Charlotte Le Bon, également artiste plasticienne et réalisatrice, raconte l’expérience déshumanisante qu’elle a vécue dans le mannequinat, mais aussi l’équilibre entre son attrait pour la ville et pour la forêt.
À propos de contraste, Charlotte le Bon a l’air d’avoir trouvé des ficelles pour marcher sur ses deux pieds, une harmonie établie au-delà d’une enfance entre la stabilité offerte par sa mère et une partie plus incertaine du côté de la “figure tragique” de son père. Malgré son image cinématographique lumineuse, on retrouve une prégnance de la mélancolie dans son art, dans un étrange balancement entre son goût pour l’occulte, sa fascination pour la mort et le fait qu’elle incarne le personnage de Joie dans le film Vice Versa. Un contraste que l’on rencontre également dans le parcours de Niki de Saint Phalle, artiste flamboyante aux oeuvres lumineuses, mais marquée par le traumatisme de l’inceste vécu enfant, et la charge de la colère qui en découle. Céline Sallette pour son premier film a magnifiquement mis en scène ce contraste, et Charlotte Le Bon a su s’inscrire dans les pas de Niki.
Bonne écoute, et n’hésitez pas à mettre des étoiles et à me faire tous vos retours sur les réseaux sociaux !
Ce que j’ai lu, vu, écouté cette semaine
Le festival « Bien dans ma tête » qui a eu lieu au MUCEM à Marseille le week-end dernier, où des rencontres, ateliers et concerts étaient programmés afin de briser les stéréotypes sur la santé mentale et libérer la parole. J’ai eu la chance d’y enregistrer un épisode de Folie Douce avec l’humoriste Mamari qui sortira prochainement, et d’animer un échange passionnant avec Lisa Mandel, autrice de bande-dessinées, et Aurélie Crétin, psychologue.
Vous l’avez peut-être vu, Michel Barnier, nouveau Premier Ministre, a proposé de faire de la santé mentale une cause nationale, reprenant une proposition faite par une pétition déjà signée par plus de 40 000 personnes. Évidemment, cela pose beaucoup de questions, comment un gouvernement de droite va-t-il se saisir de cette question éminemment sociale ? Dans sa newsletter, Daria Marx donne une réponse intéressante. Que peut-on attendre d’un pouvoir politique qui a décidé que les personnes hospitalisées en psychiatrie devaient renoncer à leurs permissions de sortie pendant la durée des épreuves des Jeux Olympiques cet été ?
Cet épisode de Dingue, un podcast suisse qui explique à travers un témoignage le concept des expériences adverses vécues dans l’enfance et permet de mieux comprendre les conséquences traumatiques qui en résultent dans la vie d’adulte.
Cet article, paru dans Libération qui fait un état des lieux du diagnostic et du traitement du TDAH chez l’enfant par la Haute Autorité de Santé.
La collection de podcasts « Le jour où » d’Arte Radio : des épisodes de 5 minutes pour et par des enfants, à partir de 3 ans. Fabienne Laumonier leur donne le micro, le temps pour elleux de raconter un moment marquant de leur vie.
Sandrine Rousseau vient de sortir un livre, Ce qui nous porte, dans lequel elle donne courageusement son témoignage sur les pensées suicidaires qui l’ont traversée ces dernières années à l’Assemblée. Elle l’accompagne de prises de parole médiatiques, comme dans cet article, où elle brise le silence sur la santé mentale en politique.
Si vous voulez être au courant de toutes les actualités de Folie Douce, et voir des vidéos des coulisses des épisodes :
Folie Douce donne la parole à des artistes, des militant·es, penseur·euses pour explorer leur parcours de santé mentale à la lumière de leur travail artistique ou politique. Ce podcast a pour vocation de faire émerger des récits à la première personne. Les propos de ses invité·es n’ont pas valeur d’expertise. Le terme « folie » est employé ici à des fins de renversement du stigmate et de réappropriation d’une identité habituellement imposée et marginalisée.
Si vous traversez un moment particulièrement difficile, vous pouvez appeler le 3114, des personnes formées vous écouteront et vous orienteront.
Merci pour cette épisode, et merci pour cette intro aussi. J’ai un forte tendance à la mélancolie en cette période (guess what sign I am, yep scorpion all the way) et l’envisager comme une phase de régénération de la terre pour recréer la vie ça aide quand même vachement pour glisser avec style sur les feuilles humides
Des bises 😘
Merci à vous deux. Le podcast m’a mené avec ma fille de 17 ans à aller voir le film NIKI. Charlotte Le Bon y est incroyable! Le film soulève tant de sujets, la psychiatrie, le féminisme, la maternité, la santé mentale, l’art. Cette place de l’art dans la santé mentale me paraît centrale…lui qui permet à tant de personnes d’aller mieux 💙